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Dernièrement, j'ai vu ça...

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Message par Nulladies Ven 15 Jan - 6:41

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 Grizzly_Man

Into the child

Posons le contexte de ce documentaire : il restitue la vie de Timothy Treadwell, un écolo passionné qui passa 13 étés en compagnie des grizzlis d’Alaska, les fréquentant au mépris de toute prudence, et se filmant en permanence, jusqu’à sa mort, dévoré vivant avec sa compagne par l’un d’entre eux. 

Werner Herzog, qu’on peut considérer comme un expert en matière de clivage mental, s’empare des centaines d’heures de rushes de l’énergumène et tente d’en brosser un portrait. 

Le résultat est tout simplement incroyable. 
Au-delà des images, déjà impressionnantes, des ours dans leur habitat naturel, et de la compagnie fidèles de quelques renards, l’animal qui va le plus attirer l’attention est sans conteste Treadwell. Ses confessions à la caméra donnent l’occasion rare de faire face à la folie dans toute sa splendeur Treadwell peut être considéré comme une version radicale et encore plus barrée de Christopher McCandless, le protagoniste d’Into the Wild. On abandonne ici tout lyrisme panthéiste au profit d’une immersion dans un délire d’une prolixité rare. Treadwell hait les hommes au point de souhaiter devenir un ours, leur parlant non pas tant pour les humaniser (ce qu’il fait, de façon aussi pathétique qu’insensée) que pour intégrer leur communauté. Avec tout ce que l’Américain névropathe peut avoir d’hystérique, à grands renforts de « I love you » et d’anthropomorphisme immature, le documentariste est un enfant, idéalisant un monde pour mieux fuir celui dans lequel il est inadapté. 

A mesure que les bandes défilent, la personnalité démente du personnage prend toute la place : ses confessions, sa paranoïa contre les braconniers, ses impressionnants décrochages haineux à l’encontre des gardes de la réserve naturelle (dont les restrictions semblent cependant tout ce qu’il y a de plus raisonnable), tout concourt à un portrait hors-norme. On peut s’étonner de la position d’Herzog à l’égard de son sujet, ne prenant ses distances qu’à deux reprises, alors qu’on ne peut qu’être d’emblée saisi par sa folie. 
Il faut bien entendu un égo surdimensionné pour tenir dans de telles circonstances : Treadwell ne cesse de rappeler qu’il brave la mort, qu’il est le seul à protéger les ours (ce qui est totalement illusoire) et qu’il comprend ce monde comme personne.
Ce qui passionne en outre Herzog est la posture du documentariste, métier qui occupe désormais toute sa carrière : la façon dont il dissèque la mise en scène de ce cinéma prétendu de vérité occasionne des séquences passionnantes. Obsession de Treadwell pour faire croire qu’il est seul quand ce n’est pas toujours le cas, nombreuses reprises de ses monologues, dérapages, découragement face aux intempéries, le personnage est scruté par Herzog qui fait un travail de montage remarquable. Alternant avec quelques témoignages de proches (la plupart au diapason de la démence du bonhomme, surtout les femmes), il ménage une dynamique démonstrative redoutable, dévoilant progressivement ses différentes facettes, de plus en plus inquiétantes. 

La fascination du réalisateur s’explique facilement : il le dit lui-même, cet échange parfois violent avec la caméra le renvoie à ses propres expériences, à la différence près qu’il s’écharpait avec un comédien quand Treadwell joue sur les deux pôles. Le documentaire encadrant (celui d’Herzog) prend alors un sens salvateur : il a non seulement décrypté le travail de son collègue, en a révélé les limites, rendant au passage hommage à son courage inconscient, mais il a surtout permis d’accéder à une nouvelle vérité : celle de l’indifférence des animaux et de l’hostilité de la Nature. 

Un documentaire absolument indispensable.

Nulladies

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Message par Nulladies Dim 17 Jan - 9:33

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 Ob_81f88d_affiche-summer-wars-sama-wozu-2009-1

Hosoda : le grand mix.

Avant la maturité mélancolique des Enfants loups, Mamoru Hosoda réalisait Summer Wars, un long métrage certes plus ambitieux sur les plans narratifs et visuels, mais finalement bien ancré dans une tradition dont il peine par instant à se démarquer. 
Le récit suit une famille concernée de très près par l’attaque d’un gigantesque réseau social, sorte de fb nippon nommé Oz, vérolé par une A.I. bien décidée à détruire le monde. 
La mise en place est assez longue, et occasionne une présentation de la famille dans laquelle on retrouve le folklore japonais traditionnel : humour assez limité, sentiments exacerbés (l’adolescence, les amourettes, les jalousies) et valorisation du clan autour d’une arrière-grand-mère représentant la sagesse séculaire auprès de laquelle on puisera les enseignements pour affronter ce nouveau monde numérique, qui finalement obéit aux mêmes lois qu’aux temps des glorieux ancêtres (et pour preuve, on nous cite même des répliques des 7 samouraïs…)
L’intrigue à proprement parler n’a rien de révolutionnaire : chaque personnage du monde réel a son propre avatar dans le virtuel, et va devoir joindre ses forces pour lutter contre l’IA, programme militaire américain qui tourne mal (et occasion, au débotté, de régler quelques comptes avec l’ancien rival.)
C’est dans Oz que le programme prend un peu de saveur. Jeu sur les proportions et la distribution spatiale, le monde épouse les formes imaginaires d’un OS, à la fois simpliste dans son interface (les avatars sont les mignonnes créatures comme il en existe tant dans le folklore vidéo-ludique nippon) et ambitieux dans ses potentiels, construit sur le principe de la circularité et des îlots. Plus le film avance, plus les incursions dans le monde prennent de la place : le contraste avec le monde réel, assez fade, est salvateur, et le déluge visuel occasionné par les différents combats (de carte, d’affrontement physique) rend l’ensemble plutôt divertissant. 
Le scénario reste cependant lourdement convenu, et ce n’est pas la série de « rebondissements » (« on a gagné, ouais ! …mais… que se passe-t-il ? oh non en fait on pas encore gagné ! ») qui le délestera de ses maladresses. 
Summer Wars est un film touche à tout, qui saupoudre un talent évident sur des domaines un peu trop hétéroclites. La suite de la carrière d’Hosoda confirmera, avec Les enfants loups et Le Garçon et la bête, que la modestie d’un angle précis, traité avec maturité, initie des œuvres bien plus fertiles.

Nulladies

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Message par Nulladies Dim 17 Jan - 9:35

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 Ob_81402f_cqjaxazxaaarhgr

Les fils sans homme

L’argument principal du Garçon et la Bête n’avait rien de surprenant, après la belle réflexion proposée par Les enfants loups : Hosoda approfondit le lien entre humains et animaux, les délaissant du père, dans la perspective d’en définir les singularités.
La cohabitation secrète de deux mondes est un lieu commun dans les contes : l’incursion du jeune garçon dans l’univers animal rappelle en cela la magie de Chihiro, après une séquence d’ouverture flamboyante dans tous les sens du terme, et les différences d’époque entre les deux évoquent l’une des pistes intéressantes de Lastman. 
Mais à la différence de ses précédents opus, le temps que prend l’animateur est surtout dévolu à asseoir la relation entre le jeune garçon et son maitre, un ours rustre condamné à avoir un disciple pour pouvoir concourir à la succession au pouvoir. 
C’est là le cœur du film : la relation tumultueuse entre les deux générations, trop semblables pour cohabiter en harmonie. Autodidactes, esseulés, gueulards, les deux fortes têtes instaurent un manège de décibels et de course poursuite d’un comique irrésistible, où la force dont on fait la quête se situe au départ dans la capacité qu’on a à répliquer avec insolence ou rabrouer brutalement. 
L’initiation est bien entendu semée d’embûches : comme dans Dragons, mais avec bien plus de subtilité encore, il s’agit d’apprendre à enseigner, ou à devenir un élève humble, s’entraider dans cette hostile odyssée qu’est la vie sociale. Avec une infinie délicatesse, Hosoda trace les lignes de la maladresse ou esquisse la danse de l’imitation, dans une séquence magnifique où le garçon reproduit en cachette chaque geste de la bête pour tenter de lui ressembler. 
Le monde dans lequel évoluent Ren et Kumatetsu est en outre peuplé d’êtres secondaires d’une rare pertinence narrative : les deux « sages », le singe et le cochon-bonze, commentant leurs débuts difficiles, le seigneur de la ville, un lapin facétieux, et la famille rivale candidate au pouvoir permettent la distillation d’une philosophie qui évite tous les pièges du didactisme. Au fil de l’intinitation, et notamment d’un court voyage auprès des grands sages du royaume, l’animation déploie des talents bigarrés, alternant entre une peinture traditionnelle et des séquences à l’animation très sophistiquée, de combats, de traversée d’une foule animale à hauteur d’enfant, ou d’attaque de baleine de pluie . 
Cette simple quête de la maitrise de l’énergie jusqu’au combat final se suffirait à elle-même. Mais Hosoda n’a pas écrit l’histoire d’une fuite, et fait revenir Ren dans le monde des humains pour une série de va et viens qui va complexifier son apprentissage, entre paternité, amour et ouverture à l’apprentissage humain, c’est-à-dire intellectuel. 
Sur sa dernière tranche, le film ajoute une dernière exploration de la part d’ombre inhérente aux hommes, la haine et le ressentiment, faisant intervenir un antagoniste dans une surenchère qui n’était pas forcément indispensable, et rappelle la difficulté qu’il avait à terminer l’ambitieux Summer Wars. Si l’animation est superbe, investissant le cœur piéton de Tokyo, les circonvolutions du scénario dérivant vers le manga pourraient faire oublier les sommets précédents, humbles et bouleversants que les personnages avaient atteints lors du combat tant attendu. Mais cela reste un détail. 

La maturité a du bon. A 48 ans,  Mamoru Hosoda réalise son chef-d’œuvre, et le regard sur la progression patiente de ses précédents films laisse présager de la suite dans son talent.

Nulladies

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Message par Nulladies Mar 19 Jan - 6:40

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 Apeinejouvrelesyeux

Chantons sans appuis
 
Les portraits de femmes contraintes dans leur épanouissement sous le joug d’une société phallocrate et influencée par l’Islam fleurissent ces dernières années. Après la saoudienne Wadjda et son vélo, les sœurs turques de Mustang et le match de foot, les prostituées marocaines de  Much Loved, place à la jeune Farah, tunisienne désirant chanter sans censurer ses paroles contestataires, à la manière des Chats Persans. 
Situé avant le printemps arabe, à l’été 2010, le récit prend le pari d’adopter le point de vue de sa protagoniste, ainsi que celui de son groupe : la jeunesse est fougueuse, semble assez libre de ses mouvements,  et l’on se prend à croire avec elle à cet état de fait. Certes, les regards de l’ancienne génération se crispent dans les cafés pour hommes, et quelques avertissements parentaux auquel on n’accorde pas trop de crédit viennent ponctuer les soirées, la boisson et les joints sur la plage. 
Surtout, la musique aide à l’expression d’une énergie irrépressible. Les morceaux combinent avec talent folklore oriental et rock, sur une dynamique de la langueur et de l’explosion, emportant avec eux un public qui laisse alors parler son corps. 
Leyla Bouzid suit son héroïne, electron qui se croit libre, et qui dévoile uns à uns les verrous autour de son parcours. Avant que la police politique ne sorte de ses planques, c’est le rapport à la mère qui cristallise les tensions. A la fois complice et rivales, les femmes sont le centre de toutes les attentions, dans ces intérieurs où tout se dit, mais où l’on étouffe simultanément. De la grand-mère matriarche qui décide des études de Farah à sa mère qui tente de la protéger contre elle-même, en passant par la jeune femme de ménage qui partage ses aspirations à la liberté, le gynécée en ébullition raconte une autre vérité du pays, celle que les hommes, presque absents, font tout pour museler. 
La caméra, furtive, investit l’espace avec fluidité et contribue à ces élans du personnage : accompagnant ses déplacements dans les divers lieux clos (garage de répétition, appartement) ou durant les performances musicales, elle restitue avec force l’énergie de la jeunesse. 
La perte des illusions n’en sera que plus ravageuse : rappel à l’ordre venu de toutes parts (le petit ami, le groupe, l’indic, la mère), les cloisons se referment brutalement autour de Farah. L’intelligence de Leyla Bouzid est de ménager des voies de traverses et un espoir infime reposant sur l’ouverture fondée sur l’échange : en ménageant la possibilité d’un échange entre les générations, le retour du père et la maturité, certes blessée, de la jeune fille, elle infuse dans le brûlot libertaire une solidarité humaniste face à l’adversité, entrainant plus d’un spectateur à sa suite.

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Message par Nulladies Mar 19 Jan - 6:41

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 600x800_233630


Panic in the moonlight

Ce serait évidemment une erreur que de réduire ce film à son principal argument de vente, à savoir qu’il est constitué d’un unique plan séquence de deux heures et quart. Si l’on s’en tenait à cette seule dimension technique, on le saluerait comme un chef d’œuvre. Car la prouesse est réelle, et on a beau vouloir se concentrer sur ses autres qualités (et défauts, bien entendu), le mouvement continu de sa narration ininterrompue constitue un élément inévitable, qui alimente la tension qu’un récit assez pauvre, convenons-en, veut générer. 
Victoria fait partie de ces films qu’on devrait voir sans rien en savoir, pour l’apprécier à sa juste valeur et sans s’accrocher à sa clinquante déclaration d’intention. La première séquence, floue avant une mise au point progressive sur la protagoniste fonctionne sur le même principe que celle qui ouvrait Le fils de Saul : elle exhibe clairement son dispositif, et cette déclaration un peu frimeuse peut éblouir autant que rendre prudent quant à sa capacité à se transformer en cache-misère. 
La première partie sait pourtant allier avec talent forme et fond : ce poursuite continue dans une after de jeunes écervelés épouse à merveille leur errance dilettante, et le trajet à vélo flirte un moment avec la poésie mélancolique d’Oslo, 31 aout. Le rapprochement des deux protagonistes, sur le mode rom com, est lui aussi plutôt convaincant dans son authenticité et par l’audace avec laquelle il s’empare du temps réel : instant suspendu, durée sacrée dans la nuit, il rapproche les êtres rendus complices par cette faille temporelle. 
Mais cela ne suffit pas à Sebastien Schipper, qui avoue d’autres ambitions : quitte à faire un film, autant tout y mettre, et la première fait en réalité office d’introduction à un thriller sur le mode Braquo ou 24 heures. Bien entendu, son parti pris technique est en cohérence avec un tel traitement, modifiant le rythme pour lui donner des allures de course folle, en voiture, sous les balles ou dans le sang. Le fait d’avoir fait intimement connaissance avec les personnages donne d’ailleurs un certain crédit à leur chute, même s’il faut s’armer d’une grande tolérance pour accepter la stupidité de chacun de leur choix. On pourra mettre ça sur le compte de la drogue qu’il consomme, et qui elle-même influera sur la frénésie du film, avec un retour dans la boite initiale qui donne une illusion de victoire assez intéressante, parce qu’on la sait bien entendu éphémère. 
La bêtise de la jeunesse et les conduites ordaliques n’excusent cependant pas tout. Alors qu’on était embarqués depuis le début, et que tout le principe du film consiste à faire tenir ce filon d’une ligne étirée à l’excès, les grossières ficelles accrochées à la rescousse brisent l’illusion initiale. Le braquage en hors champ est une idée intéressante, mais la course mortelle sur le mode des amants criminels à la fois poussive et lassante, multipliant les traquenards et les méthodes à l’américaine pour s’en sortir. 

La prouesse reste entière : comme devant un spectacle live ou un numéro de cirque, la tension de la performance infuse clairement le projet. Elle ne suffit pas à ce qu’on s’aveugle devant ses manquements et ses facilités, mais nourrit une expérience méritante.

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Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 Empty Re: Dernièrement, j'ai vu ça...

Message par Nulladies Mer 20 Jan - 6:36

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 De_battre_mon_coeur_s_est_arrete

La rédemption pour les nuls. 

Le sujet est porteur, les éléments convoqués plutôt fertiles. Pour son quatrième film, Jacques Audiard monte d’un cran un certain nombre de ses ambitions : un comédien alors incontournable (Romain Duris, fidèle à lui-même dans son registre intense et brut de décoffrage, pseudo naturaliste) un même terreau criminel, une forte dose de dénonciation et une thématique de la rédemption par les vertus toutes intellectuelles de la musique classique. 
Présentés de cette manière, la condamnation pourrait être sans appel sur ce film dans lequel il reste pourtant des éléments à sauver ; les séances musicales compliquées par la barrière de la langue avec la répétitrice chinoise sont plutôt réussie, de même que la partition de Niels Arestrup est, comme à chaque fois, mémorable. L’atmosphère générale, dans cette urbanité décatie, servie par une photographie brute et un équilibre de la mise en scène qui sait ne pas trop en faire dans l’illusion du documentaire caméra à l’épaule, est elle aussi efficace. 
Mais les maladresses restent légions.  Audiard ne sait où donner de la tête tant il aborde de sujet simultanés : la dénonciation du cynisme des agents immobiliers, le sort des squatteurs, le rapport au père, aux femmes, au crime organisé… les épaules du protagoniste semblent bien fragiles pour supporter toutes la misère du monde, tout comme l’est la patience du spectateur de plus de quinze ans. 
Voulant tout traiter, Audiard multiplie les raccourcis et le film perd en crédibilité : le parcours du personnage est une ligne droite vers la prise de conscience, des méchantes murges des capitalistes au musicien sensible qui sépare les bagarreurs, de fils soumis à l’adulte épanoui. C’est d’autant plus irritant qu’on sent clairement ce désir du réalisateur de ne pas rompre avec ce milieu qui le fascine tellement. Si Tom s’en affranchit, c’est pour mieux mettre en branle une mécanique tragique cousue de fil blanc où les criminels, de plus en plus dangereux, occasionneront de sa part une virilité à leur mesure : la scène ridicule avec Mélanie Laurent en témoigne, tout comme le final, déchainement dans une cage d’escalier qui nous fait penser que l’auteur de Dheepan a quelques fixations à régler s’il veut un jour évoluer vers un cinéma moins binaire.

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Message par Nulladies Jeu 21 Jan - 6:29

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 Affiche

Well done to the jungle

Les aventuriers de l’arche perdue : derrière ce seul titre se cache toute une dimension du cinéma de divertissement que Spielberg et sa clique vont mettre en place pour les décennies à venir. Après le carton des Dents de la Mer, le lyrisme philosophico mystique du 3ème type annonçant le futur classique E.T. et une tentative échaudée sur le registre de la comédie (1941), Spielberg s’attelle à ce qui va devenir un mythe. 
L’ouverture en est un bon exemple : la façon dont le cadrage diffère l’identification du visage du héros éponyme est une signature qu’on retrouvera dans tous les épisodes à venir. Le chapeau, le fouet vont faire le reste, le tout dans un décor de carton-pâte qui préfigure à peu près tout ce que le jeu vidéo va exploiter par la suite : des parcours semés d’embuches, une luxuriance exotique et une course euphorique… sans oublier le score mythique de John Williams, indissociable du personnage. 
Indiana Jones pourrait se voir comme une nouvelle déclinaison du héros qui depuis plusieurs années fait déjà la loi sur le box-office : James Bond. Même invincibilité, même talent hors-norme, identique façon de sillonner le globe en enchaînant les cascades. Mais c’est dans ses distinctions que se définit l’enthousiasme sémillant du jeune Spielberg : son personnage est doté d’importantes composantes comiques, dont la dérision et l’aspect chien fou qui lui donnent un charme instantané. Dans des aventures assez proches de celles de Tintin, l’ennemi local grouille, on se cache dans des jarres, on est à la merci d’un singe espion et l’on découvre des secrets ancestraux. L’archéologue déboule la plupart du temps comme une boule de bowling en passe de faire un strike, y compris avec tout le mobilier qui aurait le tort de se trouver sur son parcours. 
Le film est une ode au mouvement, convoquant les modèles d’Errol Flynn et les investissant d’une musculature volontairement moins fine, avec la même énergie que celle de Belmondo chez de Broca, empruntant cheval, avion ou camion et bastonnant avec enthousiasme un ennemi protéiforme, qui défile en attendant les coups. 
Si le film a quelque peu vieilli dans sa gestion du rythme, occasionnant quelques légers temps morts, il occasionne de superbes scènes d’action dans des décors grandioses, et sait doser l’humour pour faire du personnage la synthèse parfaite de l’aventurier sortie des usines à rêves. Un mythe est né, et il a encore quelques belles années devant lui.

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Message par Esther Jeu 21 Jan - 6:53

oui
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Message par Nulladies Jeu 21 Jan - 6:56

d'accord

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Message par Nulladies Ven 22 Jan - 7:10

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 18931015

Temple fun 2

Spielberg est désormais un maitre du nouvel essor pris par la jeune garde d’Hollywood, et peut à peu près tout se permettre. Les premières minutes de ce deuxième opus en attestent : c’est un grand gamin, féru de cinéma, qui est aux commandes. 
Le divertissement de l’âge d’or et celui destiné aux enfants sont les deux grandes références de son ouverture : une splendide et clinquante séquence de comédie musicale, à la manière d’une ouverture opératique qui annoncerait les grands thèmes à venir, diffère une nouvelle fois l’identification du héros plus que jamais dans les traces de James Bond avec son costume blanc. S’en suit un cartoon électrisant, où une scène de panique collective occasionne un ping-pong entre diamant et antidote, méchants asiatiques criblant de balle des gongs, et pousse-pousse lancé à tombeau ouvert dans les rues de Hong-Kong, rafting chutant d’un avion pour traverser falaise, neige et rapides. 
Ce rythme trépidant montre une envie folle d’en découdre et de briser toute possibilité de temps mort. C’est d’ailleurs à peu près ce qui se passera sur ce volet, sans que ce soit pour autant pour le meilleur. Toute la partie centrale dans le temple est joue sur une surenchère du dégoût, principalement destinée à faire hurler la femme, certes volontairement insupportable, mais insupportable tout de même, archétype des grandes gueules vides et choucroutées des 80’s. Insectes, animaux variés (il faut reconnaitre que la scène autour du feu de camp où elle croise l’intégralité de l’arche de Noé est assez drôle) banquet gore, cérémonies sacrificielles, tout y passe, et c’est davantage laid et poussif qu’émoustillant. Le mélange des genres n’opère pas forcément bien, et ce qu’on peut accepter avec joie dans Conan le Barbare fait ici un peu tâche, et l’on a hâte de passer à autre chose. De la même manière, les scènes de suspense à répétition confinent pour certaines à la lourdeur, que ce soit celle du plafond à piques qui redescend à plusieurs reprises, ou les allées et venues de l’héroïne dans sa cage au-dessus de la lave…
Au moment où l’on en viendrait à vraiment s’irriter, Spielberg reprend pourtant la barre : c’est, en écho à la frénésie du début, une course d’anthologie en wagon dans une mine, où toute l’inventivité visuelle du cinéaste est exploitée : aiguillages, rafales de mitraillettes, inondation sont convoquées pour un quart d’heure de frénésie rythmique. Cerise sur le gâteau, le récit nous gratifie d’une splendide séquence sur une passerelle, pour un retour en extérieurs jouant sur les dimensions les plus extrêmes. 
Qu’on s’en tienne à ses deux extrémités, et l’on y verra une réussite digne de la saga, à qui on pardonne volontiers quelques errances poussives.

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Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 Empty Re: Dernièrement, j'ai vu ça...

Message par Nulladies Sam 23 Jan - 6:55

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 Com.univ.collaboratif.utils


Récré Graal

Puisque l’exposition d’Indy est désormais une franchise, autant jouer avec les attendus. L’ouverture de La Dernière Croisade est ainsi un bel exemple de malice, piégeant le spectateur sur l’identité du personnage éponyme qui se révèle non pas l’archéologue pilleur de tombe, mais le justicier en herbe qui va vouloir restituer à qui de droit la précieuse relique exhumée. 
Dans une folle poursuite séminale, les ingrédients fondateurs de la mythologie seront ainsi disséminés de wagons en wagons, sur un train lancé à vive allure, boite à merveilles dans l’univers du cirque occasionnant les trouvailles les plus folles, de la magie aux animaux ; après l’hommage à la comédie musicale du Temple Maudit, Spielberg paie son tribut à Chaplin et son inventivité légendaire, avant de lorgner du côté du western, notamment dans la rivalité d’un Harrison Ford parvenant, à dos de cheval, à contrer les tanks des nazis. 
Pour l’instant, il s’agit donc de placer les accessoires fondamentaux de la figure : le fouet, le chapeau, la phobie des serpents et ce gimmick qu’on retrouve depuis L’Arche Perdue, à savoir que l’archéologue, en dépit de sa victoire, repart toujours les mains vides. 
Ce troisième épisode renoue agréablement avec l’esprit du premier, oubliant les délires baroques du précédent pour se reconcentrer sur des thématiques plus archéologiques. Deux idées fondatrices viennent relancer la machine : la quête du Graal, de Venise au Moyen-Orient, en concurrence avec des nazis plus retors et motivés que jamais, et surtout l’irruption de la figure paternelle en la personne de Sean Connery. Le duo formé avec Jr. fonctionne à merveille, source d’un comique efficace et gratiné, qu’ils se partagent la même traitresse nazie ou proposent une certaine divergence dans les moyens à déployer pour éviter de nombreuses occasions de trépasser. 
La dynamique habituelle n’est pas en reste, et c’est dans une alternance intelligente entre la tradition (cheval, bateau, hélices létales, balles et flammes) et la diversité (side-cars, zeppelin, chenilles de tank) que la jubilation se déploie. Des falaises autrichiennes aux autographes d’Adolf en personne, Indy marque l’histoire, jusqu’aux origines du Nouveau Testament. Enlevé, brillamment écrit, La dernière croisade est sans doute le meilleur épisode de la saga, et aurait dû tenir compte du premier terme de son titre pour s’achever sur un paroxysme.

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Message par Nulladies Dim 24 Jan - 6:49

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 18927494

I had a dream.

A la sortie de ce quatrième volet, on aurait pu imaginer une brutale prise de conscience. Une réunion au sommet, entre les pontes du l’entertainment, qui auraient repris point par point tout ce que ce film a de raté pour repartir sur des bases saines. 
On aurait pu imaginer une sorte de nouveau dogme appliqué aux blockbusters, qui préciserait que revenir des décennies après sur une franchise qui fit la gloire de son époque, c’est probablement une mauvaise idée. 
Que les marmottes en CGI, c’est laid. 
Que les falaises et la jungle en CGI, aussi. 

Que le principe du « toujours plus » a ses limites, qu’on nomme le grotesque : trois chutes du Niagara successives, par exemple. Une bombe atomique et un frigo, par exemple. Un combat à l’épée entre deux jeeps. Une transformation en Tarzan. Etc., etc., etc. 

Que le jeu sur la nouvelle génération, en plus d’occasionner une pâle copie, gêne fortement, d’autant qu’il fut déjà exploité avec talent dans La Dernière Croisade. Shia LaBeouf qui se peigne en toutes circonstances est aussi crédible sur sa Harley que Johnny face à un verre de Perrier, et les scènes de ménage entre les sexagénaires certes moins embarrassantes que le mariage final, mais tout de même bien dispensables. 

Que l’idée de laisser intervenir Georges Lucas, qui après avoir souillé Star Wars vient essuyer ses mains grasses sur cette franchise, aurait dû être évitée comme la peste. 
C’est la fête du slip : on mélange Eldorado et Roswell, canal parapsychique et crâne aux vertus proche de l’anneau, on fait remonter l’archéologie aux aliens et on finit comme un mauvais épisode de Stargate 

On se serait flagellé un moment, on aurait juré qu’on ne s’y laisserait plus reprendre, et on aurait bossé des scénars originaux. 
Mais non. Jurassic World et Terminator Genysis sont là pour le prouver : la dilution par le numérique paie. La nostalgie des parents et l’absence de goût de leur progéniture suffit au système pour se pérenniser. Alors pourquoi se priver ? 
Reste à savoir quelle leçon aura tiré papy Spielberg de cette expérience, qui prouve tout de même avec la belle séquence d’ouverture qu’il sait tout à fait mettre en scène. S’il rempile comme prévu en 2018, il aura le choix entre cette recette et une autre, un brin plus séduisante, vintage et nostalgique, qui commence à pointer depuis Mad Max Fury Road et Le Réveil de la Force… que cette dernière soit avec lui.

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Message par Nulladies Lun 25 Jan - 6:35

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 20194851

Prison wake

César doit mourir repose sur un dispositif narratif assez complexe, à la croisée du documentaire et de la fiction. Les frères Taviani suivent les répétitions d’une pièce de théâtre en prison, dont on nous montre en préambule, - et en couleur, tout le reste du film étant en noir et blanc- la représentation triomphale à la suite de laquelle les comédiens retournent dans leurs cellules. 
L’expérience est au départ réelle : ce sont bien des détenus qui jouent les rôles et répètent le Jules César de Shakespeare, mais se complique dans la mesure où il ne s’agit pas d’un strict documentaire. Les répétitions sont ainsi écrites, et les disputes entre les comédiens – pour qui les tensions de codétenus prennent parfois le dessus – sont elles aussi jouées, tout comme ces séances de répétitions dans les murs de la prison qui prend soudain des allures de décor antique. 
Si la dimension cathartique du théâtre et la confusion que ce texte ancestral entretient avec la brulante actualité des individus est traitée avec un peu de didactisme, le film prend davantage son envol dans la gestion des espaces : les cinéastes donnent à voir la métamorphose d’un décor imposé, l’univers carcéral, par le texte qui s’y épanche. Les cadrages, la très belle photographie en noir et blanc, l’exploitation des cellules, des grilles, cours extérieures ou des corridors génère une symbolisation très pertinente, qui dit avec intelligence la capacité de la littérature à sublimer ou révéler les aspirations individuelles. Voir les détenus hurler, en citant Shakespeare, « Liberté » résonne ainsi avec une intensité singulière. 
L’autre réussite du film tient à sa capacité à nous familiariser avec ses interprètes. Les mines patibulaires initiales deviennent rapidement des visages auxquels le spectateur s’attache, et l’évolution du prisonnier au personnage est tout à fait palpable. Le retour au réel, par l’enfermement final qui répète la séquence du prologue n’en sera que plus déchirant ; comme l’affirme un détenu : « Depuis que j’ai connu l’art, cette cellule est devenue une prison ». 

Cette cohabitation entre le documentaire et l’esthétique volontairement factice aboutit à un équilibre tout à fait salvateur, qui permet la respiration aux détenus comme l’empathie de ceux qui les contemplent : rien que sur ce point névralgique, César doit mourir est une réussite.

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Message par Esther Mar 26 Jan - 6:30

Nulladies a écrit:Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 18927494

I had a dream.

A la sortie de ce quatrième volet, on aurait pu imaginer une brutale prise de conscience. Une réunion au sommet, entre les pontes du l’entertainment, qui auraient repris point par point tout ce que ce film a de raté pour repartir sur des bases saines. 
On aurait pu imaginer une sorte de nouveau dogme appliqué aux blockbusters, qui préciserait que revenir des décennies après sur une franchise qui fit la gloire de son époque, c’est probablement une mauvaise idée. 
Que les marmottes en CGI, c’est laid. 
Que les falaises et la jungle en CGI, aussi. 

Que le principe du « toujours plus » a ses limites, qu’on nomme le grotesque : trois chutes du Niagara successives, par exemple. Une bombe atomique et un frigo, par exemple. Un combat à l’épée entre deux jeeps. Une transformation en Tarzan. Etc., etc., etc. 

Que le jeu sur la nouvelle génération, en plus d’occasionner une pâle copie, gêne fortement, d’autant qu’il fut déjà exploité avec talent dans La Dernière Croisade. Shia LaBeouf qui se peigne en toutes circonstances est aussi crédible sur sa Harley que Johnny face à un verre de Perrier, et les scènes de ménage entre les sexagénaires certes moins embarrassantes que le mariage final, mais tout de même bien dispensables. 

Que l’idée de laisser intervenir Georges Lucas, qui après avoir souillé Star Wars vient essuyer ses mains grasses sur cette franchise, aurait dû être évitée comme la peste. 
C’est la fête du slip : on mélange Eldorado et Roswell, canal parapsychique et crâne aux vertus proche de l’anneau, on fait remonter l’archéologie aux aliens et on finit comme un mauvais épisode de Stargate 

On se serait flagellé un moment, on aurait juré qu’on ne s’y laisserait plus reprendre, et on aurait bossé des scénars originaux. 
Mais non. Jurassic World et Terminator Genysis sont là pour le prouver : la dilution par le numérique paie. La nostalgie des parents et l’absence de goût de leur progéniture suffit au système pour se pérenniser. Alors pourquoi se priver ? 
Reste à savoir quelle leçon aura tiré papy Spielberg de cette expérience, qui prouve tout de même avec la belle séquence d’ouverture qu’il sait tout à fait mettre en scène. S’il rempile comme prévu en 2018, il aura le choix entre cette recette et une autre, un brin plus séduisante, vintage et nostalgique, qui commence à pointer depuis Mad Max Fury Road et Le Réveil de la Force… que cette dernière soit avec lui.
C'est effectivement un film à chier.
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Message par Nulladies Mar 26 Jan - 6:32

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 Naqoyqatsi_poster

Je zappe et je rate. 

Il est particulièrement triste de constater la dégradation que peut subir un chef-d’œuvre lorsque son créateur ne parvient à en faire le deuil. Koyaanisqatsi était, en 1983, une indicible réussite, un montage bouleversant d’images du monde en alchimie avec la musique de Philipp Glass. Powaqqatsi, six ans plus tard, accusait déjà des signes de fatigue qui auraient clairement dû alerter Godfrey Reggio sur la nécessité d’en rester là. 20 ans après ses débuts, il réactive pourtant la machine, bien décidé à l’ancrer dans sa nouvelle ère, celle du numérique. Le principe ne change pas : un montage sans commentaire, toujours avec Glass, donnant à voir le monde tel qu’il se montre, mais désormais revisité par la magie arty du traitement de l’image. 
Tout est raté ici. On ne s’attardera pas sur la laideur générale des effets, la beauté n’étant peut-être pas l’objectif premier du réalisateur. Il n’en demeure pas moins que cette visite de la modernité semble particulièrement désuète, nous rappelons ces génériques d’émissions des années 90, grossièrement recolorisés. 
Sous l’égide d’un photoshop low cost, Reggio se paie en plus le luxe de perdre toute la prudence didactique qui avait marqué son travail initial : au milieu du grand n’importe quoi, sorte de zapping informe d’images d’archives et d’animations improbables (circuits imprimés, structures géométriques, en gros, des écrans de veille de nos premiers PC couleurs d’il y a vingt ans…), un téléscopage d’images nous véhicule un message d’une lourdeur sans nom. Défilés militaires à répétition, associés aux foules enthousiastes de concerts de musique ; jonction entre monde de la finance, casino, pièces de monnaie et médicaments ; alternances d’images documentaires sur des violences guerrières et de jeux vidéo… 
La paresse est totale, qu’elle soit esthétique ou discursive. C’est d’autant plus triste qu’on en vient à se demander si l’on n’a pas été abusé par la première émotion qui nous fit découvrir son travail. Le plus sage consiste sans doute à oublier cet enlisement et rester dans le souvenir ému d’une œuvre qui fut, 20 ans auparavant, originale et marquante.

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Message par Nulladies Mer 27 Jan - 13:07

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 AFF_le_pont_des_espions

L’espion qui plaidait. 

Les décennies passent et Spielberg, bientôt septuagénaire, doit désormais pleinement assumer sa place de patriarche. Il est loin, le temps des bricolages de génie à la Duel ou Jaws : il s’agit, depuis plusieurs années et autant de films, de conduire cette double trajectoire entre blockbusters et classicisme historique, alternance entre Tintin et Lincoln. 
Le Pont des Espions était doté d’une bande annonce suffisamment formatée pour me faire renoncer à le voir en salle : tous les ingrédients de le la lourdeur inhérente au produit de grande consommation yankee s’y trouvait concentré, du faciès mi-patriarche mi-chien battu de Hanks à la musique patriotique, en passant par une intrigue cousue de fil blanc (le gentil avocat en assurance devenu héros national et discret) et un background de circonstance (maman en tablier et fifille qui pleure devant les explosions nucléaires).

Tout cela irrigue bien entendu le film, et reprend surtout ses droit dans les dix dernières minutes, assez insupportables, et sur lesquelles on fermera les yeux (ce didactisme, ce faux suspense, ce retour à la maison, la télévision et le retour avec les lecteurs de journal dans le métro pour bien refermer la boucle…) pour se concentrer sur tout ce qui fait sa réussite.

Le Pont des espions met presque une heure à parvenir au pitch qu’il nous avait annoncé, et c’est là la sa grande force. Toute la première partie, concentrée sur la défense de l’espion par l’avocat d’assurance, est aussi fine qu’efficace. Subtile dans le débat qu’elle instaure sur les idéaux d’un homme de loi résolu à offrir à l’ennemi public N°1 un procès en bonne et due forme, et les institutions partiales face à lui, de l’audience à la CIA en passant par le juge lui-même. Cette façon de destituer discrètement l’Amérique, de montrer comment l’hystérie collective d’une nation aux abois peut l’amener à se désavouer dans ses principes les plus fondamentaux est bien entendu d’une actualité universelle : c’est le Patriot act, la partialité de Fox News tout comme notre Etat d’Urgence. Dans Lincoln, déjà, Spielberg insistait sur l’héroïsme d’un homme qui ne représentait pas la majorité dans son propre camp, et révélait par-là les zones d’ombres de cette Amérique qui aime tant vendre son modèle. 
En écrin à ce débat passionnant, Spielberg met en place une esthétique de la reconstitution flamboyante qui ne cesse de s’exhiber comme telle. Des rues initiales de Brooklyn à la pluie battante, de la neige berlinoise au splendide travelling le long du Mur en pleine construction, le cinéaste s’offre cadre glamour et classique qui contribue au plaisir du divertissement sans nier les enjeux discursifs, de la même façon que l’humour, savamment saupoudré, achève de monter un édifice parfaitement stable. 

Bien sûr, le protagoniste restera le héros infaillible et dénué de toute part d’ombre, et son insistance pour faire plier la CIA à récupérer un jeune étudiant de l’âge de sa fille peut faire sourire – ou irriter. Mais cela est rapidement occulté par les enjeux bien plus fertiles de ce triple échange, faisant entrer dans la partie la RDA et ses intérêts contradictoires, pour un jeu d’échec mené avec fluidité et malice : entre ce qu’on ne dit pas, ce qu’on veut faire savoir et ce qu’on ignore, les négociations prennent une tournure où la tension ne faiblit presque jamais. 

Embrasser l’Histoire réussit donc à Spielberg : en combinant le rythme du film d’espionnage, le chic de la reconstitution et le fond d’un débat patriotique qui n’a pas fini de nous hanter, il parvient à la synthèse efficace qu’on est en droit d’attendre d’un film grand public.

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Message par Nulladies Jeu 28 Jan - 6:34

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 605b9fceb3362937577d33f8ca9b594a

Inside Story

Tout au long de l’exposition de Safe, on se surprend à se dire que Todd Haynes est en train de faire une adaptation de Mme Bovary qui avancerait masquée. Ce portrait des desperate housewives,  entre baby shower, salle de gym et salons aux teintes pastels est en tous points une transposition de l’univers normé et anxiogène d’Emma, où l’acidité du regard se fait par un silence d’une rare pertinence, par un cinéaste présent partout, mais visible nulle part. 
Il suffit d’ajouter quelques nappes d’ambient electro, lorgnant du côté des ambiances de Lynch, et de travailler les dialogues au cordeau pour parfaire l’ensemble. Dans cet univers où tout est prévisible, inutile de terminer ses phrases : comme le dit une amie, « You don’t even wanna know ». Carol passe son temps à asséner « I’m fine » ou « Its just.. » « I’m just… » sans pouvoir poursuivre, à mesure que les symptômes peut-être psychosomatiques de son mal se répandent. 
Ce personnage en perdition, ce milieu étouffant et les voies de rémission qu’elle va choisir, ambigües dans leur honnêteté ou leur déviance, sont les ingrédients qui font de ce récit un véritable et prenant film d’horreur, dans la lignée d’un Take Shelter, voire du barré Bugs de Friedkin. 
Julian Moore prouve, mais était-ce encore nécessaire, qu’elle peut absolument tout interpréter. Femme d’intérieur qui se décharne et atteint la quasi transparence, elle exprime son mal de vivre par une incompatibilité avec l’air ambiant. On peut penser à ce personnage terrible de Merry écrit par Philipp Roth dans Pastorale Américaine, tombant dans les filets d’une secte et rompant avec le bon sens. 
Mais c’est justement dans cette direction prise par la protagoniste que l’ambiguïté atteint des sommets. Rivé à ce point de vue, Haynes prend soin de ne point juger son personnage, et de ne pas grossir le trait, comme on s’y attend, de son inconscience. Certes, on constate son isolement croissant, son intégration dans une communauté pour le moins inquiétante, notamment par les propos du médecin en chef et son discours culpabilisant. Mais on assiste simultanément à une amélioration de ses symptômes, loin du cocon morbide qui les a générés. D’une aliénation à l’autre, aucun juste milieu ne semble possible. Répondant à l’injonction d’un personal achievement, Carol finira par dire « I love you » à son reflet dans le miroir, scène glaçante où l’on comprend bien qu’elle prend pour aboutissement d’une quête le fait de s’être définitivement enfermée face à elle-même : en sécurité (safe), mais prisonnière de son accès à l’extérieur. 
Très grande réussite dans le portrait pathologique et modèle d’épure dans la mise en scène, Safe est un film d’une densité à la fois précieuse et pernicieuse.

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Message par Nulladies Ven 29 Jan - 7:01

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 Loin_du_paradis

Intolérance d’une nation

La continuité entre Safe et Loin du Paradis tient à une femme : celle dont on fait le portrait, abimée par le milieu étouffant dans lequel elle tente de survivre, et celle qui l’interprète, Julian Moore. C’est là le seul lien, tant les deux films sont dissemblables par ailleurs. 
On connait la capacité de Todd Haynes à jouer au caméléon esthétique, du glam de Velvet Goldmine aux multiples facettes du biopic en kaléidoscope I’m not there. Dans Loin du Paradis, il se met en tête de revisiter le pur mélo des 50’s, esthétique et B.O signée Bernstein à l’appui, avec un soin de reconstitution aussi maniaque que les intérieurs impeccables des protagonistes. 
Aux salons pastels de Safe répondent les codes esthétiques d’une autre époque, où les robes sont bouffantes et les hommes gominés, les domestiques et les jardiniers uniformément noirs. Haynes ne lésine sur aucun effet, générant un plaisir cinéphile d’esthète quant aux filtres bleus, aux plans obliques et au portrait d’une femme aux cheveux entourés d’un châle qu’on croirait tout droit sortie d’une séquence d’Hitchcock. 
La caméra contemple avec ostentation ces figures de papier glacé, grimpe le long des façades ou des arbres dont les feuilles automnales semblent colorées pour épouser la teinte de la robe de madame. Une fois ce décorum rutilant posé, le cinéaste peut placer ses pions comme autant de coups de griffes dans le vernis. Le dilemme et les passions coupables se partageront entre les deux membres du couple comme la seule chose commune : l’homosexualité pour le mari, un amour interracial pour son épouse. Haynes joue clairement sur deux tableaux, au point de pouvoir déstabiliser : si les réactions outrées de la masse face à la question raciale sont plutôt emphatiques (visages dédaigneux en contre plongée, fuite de la piscine lorsqu’un enfant noir y a trempé le pied…), le cinéaste y superpose le contrepoint d’une intimité déchirante : celle d’un homme se battant pour guérir de sa « maladie », ou d’une femme portant à bout de bras un rêve domestique auquel elle ne croit plus. 
Dès lors, l’image se complexifie : au lieu commun du châle lila volant dans les arbres répond une autre exploitation de la couleur : celle d’un homme « de couleur » esseulé dans une exposition d’art contemporain, ou d’une blanche dans un restaurant réservé aux noirs. Celle d’une brillance de plus en plus aveuglante, comme cette illusoire escapade à Miami ou la question raciale ou homosexuelle s’affirme avec d’autant plus d’éclat ; celle de de la nuit grandissante, des impasses ou l’on lapide et des portes donnant sur l’arrière-cour, jusqu’au sombre quai d’une gare : de plus en plus loin du paradis. 
Car si le récit est celui d’une affirmation (celle, finalement très courageuse, du mari), elle révèle conjointement une profonde injustice dans l’inégalité des intolérances : si monsieur peut vivre caché, il n’en sera pas de même pour Cathy, contrainte d’emporter avec elle ses enfants, la fille de l’homme qu’elle aime… et surtout leur couleur, qui, même dans la grand ville voisine, ne fera que déplacer les raisons qu’ils avaient de fuir. 
C’est donc dans la plus grande tradition du mélo lyrique que s’achève le film, sur un renoncement qui le rapproche de Sur la route de Madison : s’étouffer face à une époque, tenir son rang, briser ses élans passionnels : taire son enfer intime pour garantir la bonne marche de l’apparent paradis social.

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Message par Nulladies Sam 30 Jan - 6:35

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 The-Visit


(Je me refuse au jeu de mot certes tentant mais trop facile avec footage) 

Il est des missions dans lesquelles la persévérance a du bon. Sergent Pepper est toujours en quête du film qui lui ferait miroiter les richesses (très bien) cachées du cinéma de genre, ses implicites et sa malice. 

Ce ne sera pas encore pour cette fois. 
Donc : Le penaud Shyamachin nous fait le coup du retour en grâce par la petite porte, aka retour peinard par notre porte étroite. A savoir, un film d’horreur en found footage. 

Déjà, le concept sent bon l’antimites, mais passons. 

Que donc tentons-nous de nous vendre ? 

Un film malin, bande de cinéphiles en chaleur, n’oublions pas qu’on a face à nous Shyamachin, le El Chapo du twist, qui réconcilie Bruce Willis et critique française, qui sait tenir une caméra et un clavier en même temps, je vous parle d’écriture, de réflexion, de gestion intelligente à la croisée du frisson primal et de l’érection cérébrale, de quoi huiler la masturbation à tous les étages. 

Donc, disais-je. 

Le found footage, c’est toujours assez irritant. Qu’une gamine continue de courir en filmant alors qu’elle est sur le point de ne plus contrôler ses sphincters m’a toujours laissé un peu dubitatif. Que la caméra tombe dans un angle parfait permettant de poursuivre la séquence aussi. Qu’elle fasse automatiquement la mise au point au deuxième plan itou. M’enfin, me direz-vous, facétieux afficionados que vous êtes, tout cela n’est que roupie de sansonnets. 

Place aux sensations fortes : une remise étrange, une cave interdite, des jump scare, des bruits à la porte, mamie à poil, mamie à quatre pattes, papi qui suçote le double canon d’une carabine ou démonte la gueule d’une passant : en matière de retrouvailles, on a vu mieux. Certes, c’est la famille et tout, mais pour une première, on peut s’imposer certaines limites.

Vous me direz, la gamine aussi a raté pas mal d’occasion de fermer sa gueule. Sur le procédé à peu près aussi inattendu qu’un clash chez Ruquier, la pré-pubère qui tient la caméra se pique de « mise en scène » (en français dans le texte, sic) : t’as vu, voilà comment faut faire pour faire genre. Les plans, le cadrage, les petites scènes du quotidien, tout ça, l’angle des interviews. 

Malin, je vous dis, le Shyamachin. 

Comme c’est totalement vain et ennuyeux à mourir, on se prend à se demander dans quelle mesure ce serait pas une comédie. Mais on me fait signe dans l’oreillette qu’une comédie est censée générer le rire. Ah. Diantre. Pas moyen de cocher cette case, donc. Y’a bien une tentative de faire rapper un jeune blanc aussi ouaich que Trump est de gauche, mais, curieusement, l’effet escompté n’est pas vraiment atteint. 

On parle du twist ? On spoile ? 

Disons que le coup du « OH MON DIEU C’EST PAS VOS GRANDS PARENTS EN FAIT C’EST DES GUEDINS ECHAPPES D’UN HP PROCHE ET JUSTEMENT ON COMMENCAIT A SE DEMANDER QUAND MEME » m’a rappelé quand j’étais prof de collège et que je demandais à mes élèves d’écrire des nouvelles fantastiques. Ou les veillées de CM2, vous savez, avec les caïds qu’ont des histoires vraies qui te font tenir très fort ta carte Pokemon, celle qui te porte bonheur parce que tu l’as échangée contre une achment moins forte, putain, Kevin l’est vraiment trop con mais en même temps il s’en branle, sa mère elle lui achète tout ce qu’il veut alors pour lui c’est pas pareil, des EX il en a tous les jours dans son château en or massif.

Alors on se lâche pour un final cathartique qui te fera passer la scène du pilon de poulet dans Killer Joe pour un monologue de la Princesse de Clèves : Miss va à la cave en laissant son frère tout seul, (paie ta conception de la fratrie) et le frère en question va se retrouver va subir un double rituel initiatique : plaquer le méchant pour conjurer son trauma d’avoir fait rater son équipe de sport américain (je sais plus lequel, un truc avec des plaquages, donc) devant papa bien des années plus tôt (oui parce que je vous épargne la dimension psycho, mais c’est du lourd, avec thérapie familiale, papa nous a abandonnés, maman est fâchée avec ses parents, nous la next gen, on va remettre de l’ordre dans tout ça). 

Et donc, deuxième complexe à dépasser : la mysophobie. Pour cela, rien de plus simple : une couche garnie de matière fécale en application faciale viendra à vous de vos réticences. 

Alors voilà. Film intelligent, parodique, détricotant les codes du genre pour… oh, ta gueule. C’est vrai qu’il n’y a pas de surnaturel. Mais le fait qu’on puisse défendre ce genre de chose a pour moi des vertus proprement paranormales.

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Message par Nulladies Dim 31 Jan - 7:01

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 Carol_2016

Very blossom girls.

Un lent mouvement de caméra le long des façades, de celles où se logent ceux qui observent et qui jugent, accompagnait le départ de Carol White qui s’éloignait Loin du Paradis. C’est un mouvement similaire qui ouvre Carol, qui partage un prénom et une époque avec ce beau film : depuis une bouche d’aération jusque dans la rue animée, il embrasse avec lenteur la frénésie d’une vie new-yorkaise des 50’s, celle qu’on assimile habituellement à un âge d’or de la comédie sentimentale. 
Mais la sublime photographie nimbe tout ce glamour d’une obscurité à l’épaisseur inédite. Le premier échange visible à l’écran est celui d’un silence : interrompues, les femmes se regardent, une main se pose sur une épaule de Thérèse, de face, avant de laisser place à une autre, celle d’un homme, sur l’autre épaule et de dos : la normalité semble avoir, avec une violence et une rapidité terribles, repris ses droits. 
De ce ballet programmatique, Carol est la lente partition à rebours : de la rencontre aux affrontements avec le monde extérieur, le couple de femme ne cessera de composer sur cette mélodie essentielle : je te regarde, je te touche, je soutiens ou non ton regard…et je décide ou non de rester. 
Carol est clairement un film de la maturité : son écriture n’est plus aussi inféodée qu’auparavant au glorieux modèle (de Sirk, par exemple), et sa charge satirique en sourdine au profit d’une exploration plus complexe des individus. Le personnage éponyme, sous les traits de la grandiose Cate Blanchett, n’a pas grand-chose à voir avec la soumise femme au foyer : femme forte, elle apparait alors que tout semble déjà joué : assumant son homosexualité, en instance de divorce, elle porte avec elle des années d’apprentissage sur le personnage qu’elle s’est patiemment écrit ; pour donner le change, pour supporter, pour ménager celle qu’elle est. En résulte un personnage dur, souvent en représentation, au glamour trop souligné, carapace parfaite pour gommer les fêlures. Face à elle, la candeur juvénile de Rooney Mara n’est pas en reste : elle suit, elle accepte, elle étonne et abolit progressivement la différence d’âge ou de statut social. 
L’une des grandes intelligences de Carol est de ne pas traiter de la découverte : on ne découvre par son homosexualité, on ne crée pas vraiment le scandale, qui reste toujours cantonné au domaine du foyer : quelques hommes révoltés, qui ne pourront rien contre l’évidence. Certes, l’intrigue tisse un piège empêchant les amantes d’avoir droit au bonheur, par un chantage à l’image, la mère qu’est Carol se voyant refuser la garde de sa fille pour « clause de moralité ». 
Mais cette épreuve, bien plus que celle du regard intolérant de la société, vise avant tout à définir les individus. A travers toutes ces vitres embuées, ce road trip ou ces parois de verre, à travers la lentille d’un objectif qui aime ou qui espionne pour mieux rattraper, Todd Haynes effeuille progressivement les écrans pour atteindre la vérité des êtres. Son récit dissèque les trajets, d’un train électrique qui tourne en rond à un voyage interrompu, jusqu’à ce face à face qui ouvrait le film, anticipation vers laquelle convergent les deux femmes. Carol est la captation de deux épanouissements : celui d’une femme qui décide d’être elle-même pour mieux être mère, celui d’une jeune fille qui décide de choisir, de s’affirmer et non de suivre. 

C’est donc à la lumière de cette révélation que ce double dénouement prend tout son sens : il ne s’agit pas à proprement parler d’un happy end comme l’âge d’or hollywoodien savait nous en concocter. C’est, après l’adversité et le silence, l’unisson de deux décisions, l’accord d’une femme qui s’assume et d’une autre qui se connait suffisamment pour décider de l’accompagner. Tout cela formulé dans les lumières ouatées d’une salle de restaurant, sous la splendide musique de Carter Burwell, par deux regards, et un sourire.

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Message par Nulladies Lun 1 Fév - 6:42

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 607e34206f503f9a1d1daeaaec51acff91262708


Trash investigation

Retraçant l’enquête journalistique au long cours sur la façon dont l’Eglise a étouffé les scandales de pédophilie sur la ville de Boston, Spotlight impressionne avant tout par son sujet. Méticuleux, presque documentaire, le récit déverrouille un à un les mécanismes bien rôdés par l’institution pour faire tomber dans l’oubli ce qu’on peut presque considérer comme un crime de masse tant les prédateurs sont nombreux et leurs victimes murées dans un silence organisé. 
Les diverses enquêtes de l’équipe d’investigation mettent ainsi à jour les collusions déjà soupçonnées entre l’Eglise et le pouvoir, qu’on connaissait dans les sphères politiques ou financières, et qui ici s’établissent sur les terres souillées du crime. Entre les témoins qu’on décrédibilise et les tenants du pouvoir intervenant pour museler la presse, de la responsabilité de salir une institution tellement rivée dans les pratiques sociales et confessionnelles aux interruptions médiatiques du 11 septembre, les journalistes partent dans une croisade souvent passionnante. 
Force est de constater que c’est là la seule véritable qualité de film : filmé avec une certaine paresse, paré d’une interprétation au diapason, avec une mention spéciale pour Ruffalo qui pense que se gratter la tête ou crisper un demi-sourire fait de lui un candidat idéal au Pullitzer, le film s’efface clairement au profit de son scénario. On est étonné de constater à quel point tout le traitement est linéaire et les dialogues fonctionnels, habitués que nous sommes désormais à la dynamique d’un Sorkin pour rendre palpable la frénésie d’un milieu ou l’intelligence enquêtrice des journalistes. Tout est dans la nuance et la sobriété, à l'image du très bon et peu prolixe personnage de Liev Schreiber, initiateur discret de l'enquête.
Il faut donc accepter cette platitude qui peut finalement s’avérer un choix pertinent : non seulement, le sujet se suffit à lui-même et c’est faire œuvre de bon sens que de le mettre en avant sans le perdre dans des affèteries. Mais cela permet aussi d’éviter bien des attendus sur de tels films, que le scénario désactive de façon presque systématique : nulle surenchère par le thriller, nulle famille menacée ou enfant d’un journaliste impliqué, autant de menaces putassières qu’on voit poindre sans qu’elles puissent s’épanouir. 
Choix étonnant, à quelques mois d'écart, entre le film d'auteur rebutant (El Club) et cette enquête au premier degré : un sujet aussi brûlant que la pédophilie des prêtres semble ne pas supposer de concessions. 
En contrepoint de la frénésie poseuse et clipesque dont se pare l’époque, Spotlight fait donc office de film à l’ancienne ; si cela suppose certaines concessions du spectateur, c’est le plus souvent tout à son honneur.

Nulladies

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Message par Nulladies Mar 2 Fév - 6:28

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 Made_in_France

♫ Merde in France, pan pan boum, pan pan boum...♫

Fallait-il sortir Made in France ? La question n’est pas tant la décence d’une telle décision, par respect pour les victimes et le traumatisme vécu par le pays sur la question que la quasi obscénité avec laquelle les distributeurs ont compensé leur campagne de communication pour que le film soit vu ailleurs. Sous le feu des articles, l’affiche nous l’assène : considéré comme Brillant par Première et possédant la force de l’évidence selon le monde, Made in France est un film qui doit être vu de tous, nous martèle le Huffington Post. 

La liste des défauts du métrage est tellement conséquente qu’elle occasionnerait une critique bien trop longue pour l’attention qu’il mérite, et qu’il a déjà monopolisée. Mal joué, surligné comme un documentaire pédagogique pour moins de huit ans par une voix off initiale, écrit avec des stabilo, le récit nous propose une galerie d’archétypes indignes d’un téléfilm d’M6. Le jeune renoi qu’est dans le fond sympa, le jeune bourge blanc qu’est dans le fond très con (seul élément positif au départ, montrer l’ignorance de ces gars avant l’embrigadement), le beur qui veut en découdre mais qu’est dans le fond humain (putain, pas les femmes et les enfants steuplé), le roux intello en planque qu’est de toute façon un gentil, et donc le chef qu’est lui, le putain de méchant parce qu’il a des yeux grands ouverts dans des orbites un peu trop profonds.

Les portraits n’intéressent pas Nicolas Boukhrief qui saupoudre quelques petits frères et une épouse comme on te fout de la salade à côté de la pièce du boucher au Flunch, pas plus que l’idéologie des djihadistes : un prêche de trois minutes sur la pornographie sur internet, et c’est réglé, on passe à l’action. 

Made in France est un film putassier sur tous les domaines. Lorgnant avec la subtilité de Sarkozy vers 2017 sur les séries américaines (Homeland, mais surtout Sleeper Cell), on nous rejoue le coup du journaliste undercover qui va donner des infos et tenter de proposer au plus gentil le combat par les études et les idées, avec un degré de conviction digne de la dernière profession de foi en date de JF Copé. 

Tout cela est cousu de fil blanc,  et suffirait à nous lasser, mais c’est là bien le moindre de ses défauts.

La suite contient des spoilers.

Ce qui scandalise vraiment, c’est l’évolution du récit et les pirouettes par lesquelles le scénario tente de s’en sortir. Première solution, logique, faire mourir un à un tous les membres de la cellule pour lesquels on peut avoir une vague tendresse à un moment ou à un autre : (ah oui finalement, ils n’auraient pas été si salauds, non ?) ou les décrédibiliser (le personnage de Christophe/Youssef), rassurant le spectateur sur leur incapacité à mener à bout une telle entreprise, ce qui sera le cas. Les scènes d’action sont toutes plus improbables les unes que les autres. 
Et le coup de grâce est atteint avec un twist qu’on avait vu venir à des kilomètres : le chef de cellule agit en solo. Non seulement, ça permet de ne pas avoir à gérer des attentats coordonnés comme annoncés au départ, mais de refermer gentiment notre petite histoire qui se résume à un psychopathe (qui veut finalement faire l’attentat, attention gentil, DANS LA CRECHE DE TON FILS AHAH TU FAIS MOINS LE MALIN MAINTENANT SALE TRAITRE), de ceux qui font les affaires du Commissaire Moulin. 

Coup de grâce bis : le gentil est sauvé du coup de feu dirigé vers son cœur… dévié par le Coran qu’il portait dans sa poche intérieure. 
Sérieusement ? C’est qu…

(Nous nous voyons dans l’obligation d’interrompre cette critique, son auteur ayant fait ce qui ressemble à une crise nerveuse, ou une rupture d’anévrisme. Merci de votre attention et toutes nos excuses pour cet événement indépendant de notre volonté.)

Nulladies

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Message par Nulladies Mer 3 Fév - 6:44

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 427776

Entêtante étrangeté

L’hypnose, on le sait, suppose le consentement de celui sur qui on la pratique : il en est de même pour pouvoir se laisser happer par Jauja : accepter une expérience hors-norme, un espace-temps aux lois propres et une aventure visuelle sans équivalent. 

Le projet de Lisandro Alonso frappe d’emblée par sa plasticité : sur un format 1:33 aux coins arrondis, il propose une succession de tableaux d’une splendeur étourdissante. La nature contrastée de la Patagonie, des espaces scintillants, un travail sur la profondeur de champ proprement déconcertant (on a du mal à comprendre comment le cinéaste parvient à faire le point sur l’avant et l’arrière-plan simultanément) laissent sans voix, à l’égal des personnages, souvent avares de discours. 
De récit, il est pourtant question, à la croisée des grandes œuvres fondatrices : l’évocation d’un Elodorado mythique et inaccessible, d’un homme qui serait devenu fou, relecture du Kurz d’Apocalypse Now et prélude à un voyage initiatique et sans clé dont les décrochages finals lorgneront du côté de la métaphysique de 2001, l’Odyssée de l’espace. Un homme part à la recherche de sa fille, dans un décor d’une sauvagerie contagieuse, où les hommes se perdent et s’entretuent discrètement, après s’être masturbés dans des trous d’eau ou faufilé dans les anfractuosités de la roche. 
Jauja ne se contente pas d’être beau et de faire défiler des fulgurance visuelles ; le travail sur le temps est en osmose avec celui sur l’espace : le trajet du protagoniste est restitué avec une lenteur, souvent un plan fixe qui le laisse marcher jusqu’à disparaitre à l’horizon, rappelant la durée déraisonnable de certains plans de Bela Tarr dans Les Harmonies Werckmeister ou Gus Van Sant dans Gerry et son appréhension assez semblable de la nature. Elle s’offre dans une étendue démesurée, révélatrice de la petitesse humaine, visible à l’infini, mais inaccessible dans son omniprésence muette : souvent, des actions apparemment cruciales se déroulent dans un arrière-plan si éloigné qu’il en est à peine discernable. Ces béances rappellent celles du premier plan, où se jouent des dialogues lacunaires, écorchés par des absences de réponses, des silences aussi éloquents que ceux de la splendeur indicibles des lieux. 
Accepter la lenteur, c’est s’ouvrir à une contemplation nouvelle : de celle que génère le cinéma si singulier d’Apichatpong Weerasethakul, que ce soit dans la nature luxuriante de Tropical Malady ou des échanges fantasmatiques de Cemetery of Splendour. Un état de réception décroché, au profit d’une expérience grandiose qu’il faudrait probablement vivre en salle pour lui donner sa pleine mesure. Accepter ce voyage, c’est aussi renoncer à en comprendre tous les détours. Décrochages, ruptures, mystères : nous sommes des compagnons silencieux de ce trajet, qui formule davantage de questions qu’il n’apporte de réponses, au premier rang desquelles on retiendra celle-ci : « Qu’est-ce qui fait que la vie fonctionne et continue ? » : ambitieuse métaphore de notre rapport à cet objet singulier, qui toujours fonctionne et jamais ne cesse de nous fasciner.

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Message par Nulladies Ven 5 Fév - 6:30

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 Amnesia-affiche

Devoir de mémoire : à oublier. 

Quand on se prétend cinéphile, il faut être ouvert d’esprit. On doit encourager la jeunesse audacieuse comme les vétérans en disgrâce. Barbet Schroeder, j’ai toujours cru que c’était un type vraiment important et singulier, avant de me rendre compte à l’issue de ce film que je faisais une confusion avec Paul Schrader. 
Après cette confession honteuse, et pour reprendre le thème du film, à savoir le devoir de mémoire, disons le tout de go : oublions cette petite merde fauchée au plus vite. 

Comme dans More, (ah oui, j’aurais dû me souvenir que je lui avais mis 3, déjà…) le réal son budget low cost par les lumières gratuites et à volonté d’Ibiza. Jolies maisons blanches, mer, cigales, tout ça. C’est à peu près tout. 

Parce que le reste, comment dire… Passons sur le fait que c’est mal joué, peu intéressant, aussi palpitant qu’un reste de raviolis froids au fond d’une boite de conserve, et concentrons-nous sur la thèse défendue. 

Soit une quinqua voire plus dans le paradis terrestre, qu’a plus touché à son violoncelle depuis des décennies. Débarque un jeune de 20 ans qui capte des sons comme Travolta dans Blow Out. Il est allemand, nous sommes dans les 90’s, et elle révèle au bout d’un moment qu’elle aussi fut allemande mais que quand même, vu les atrocités commises par les nazis, plus question d’avoir un lien quelconque avec ce pays. 

Débat. Chappe de plomb, reconstruction, contrition, fellation ? 

Schroeder sent bien que se limiter à ces échanges intimes a quelque limite. Il sort donc la grosse artillerie, le panzer division de l’échange cathartique en faisait débarquer la mère et le grand père qui vont y aller de leur confession nostalgique devant la paella. Scène grotesque où le safran semble régénérer des souvenirs jusque-là tus, c’était dur la guerre quand même et voilà que je pleure sur mes moules. 

Tout est faux, rien ne fonctionne. Le scénario est d’un didactisme à faire pleurer, la bluette totalement insipide, et les leçons à la hauteur d’un débat dans les pages philo d’un supplément gratuit. Faisons donc ce qu’il faut avec de telles productions : poubelle. (la jaune, silvouplé).

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Message par Nulladies Ven 5 Fév - 6:31

Dernièrement, j'ai vu ça... - Page 3 Steve-jobs-movie-poster-800px-800x1259

Règlements de compte à OK Computer

Deux contre un : Sorkin à l’écriture, Fassbender à l’interprétation, permettent de contrer Danny Boyle aux commandes, cinéaste qu’il semble assez salutaire de ne plus suivre depuis, disons, vingt ans. 
Soyons d’ailleurs de bonne foi pour le coup : les défauts du film ne sont lui sont pas vraiment imputables, tant il est ici en posture d’exécutant : qu’on lui  retire le scénario et le montage, et il lui reste des travellings, quelques plans séquences en poursuite dans les coulisses de complexes de plus en plus rutilant, rien de plus, et on lui saura grès de ne pas s’être laissé aller à ses poisseuses habitudes sur ce nouveau projet qui ne lui appartient pas pleinement. 
Les comédiens eux-mêmes s’en tirent avec les honneurs qu’ils méritent, ce qui a toujours été le cas avec Sorkin, dès The West Wing et dans le projet assez similaire de The Social Network qui plombe clairement de son ombre ce nouvel opus. Diction, finesse de la répartie, c’est dans la précision que Fassbender, Kate Winslet et même Seth Rogen se distinguent, plutôt que dans les excès généralement de mise pour ce genre de biopic. 
C’est d’ailleurs une entreprise plutôt courageuse que d’avoir opté pour une telle structure : Steve Jobs ne se présente pas sous les atours de l’hagiographie d’un mythe américain,  mais d’une expérience presque formaliste, fondée sur les répétition et échos d’une représentation très théâtrale. Trois temps, 1984, 1988 et 1998, quelques minutes avant la Keynote stratégique, qui conduira vers deux fours puis la gloire. La première séquence qui rappelle furieusement la longueur volontairement démesurée de l’ouverture du Glamorama de Bret Easton Ellis donne le ton : tout se jouera dans des points apparemment annexes, et les convergences, au fil des interventions et des répliques, permettront d’embrasser la personnalité complexe de Jobs. Retour, donc, sur une quinzaine d’années, de la fille non reconnue, du père de substitution, du frère renié et de l’assistante en épouse fidèle. 
On ne s’étalera pas sur les lourdeurs psychanalytiques qui sous-tendent le propos général, entre le fils mal adopté qui devient père démissionnaire et égotiste redoutable au service d’un marketing de génie. Disons simplement que cette deuxième proposition n’intéresse pas vraiment Sorkin, et que les pauvres réflexions sur l’informatique sont du saupoudrage qui tente de faire oublier à quel point on passe à côté du véritable sujet, à savoir comment Apple est parvenu à créer du très cher, très fermé et a conquis les masses avec ce concept qui s’est tout d’abord pris les pieds dans le tapis. N’est pas Fincher qui veut : à trop reproduire la même formule que pour The Social Network, Sorkin accuse de sérieux signes de fatigue. 
Fasciné par son sujet central, l’homme monstre, le rouleau compresseur de ses collaborateurs, le film en devient proprement épuisant. Verbeux, poseur, il s’acharne à étirer à l’envi des joutes verbales, ciselées et cyniques, dont on a compris rapidement les enjeux. Pour habiller le tout, la magie du montage navigue entre les époques en variant grain de l’image et perruques des comédiens, et la bande son nous accompagne la majorité des séquences d’une musique continue, censée surligner le stress du compte à rebours avant le début de la séquence. 
Ce sentiment d’urgence permanent, cette course aux répliques qui tuent, cette manie de partir vers une porte avant de sortir LA phrase définitive vire à une sur-écriture particulièrement irritante. On a le sentiment d’assister à une bande-annonce permanente, de celles où justement, on vous aurait gardé les bonnes saillies verbales sur fond de musique entrainante.

Et une bande annonce de deux heures, c’est éreintant.

Nulladies

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